Amin Maalouf est un écrivain dont j’apprécie le point de vue « oriental », l’élégance et la musicalité depuis des lustres. Dans un registre plus radical, son ouvrage « Les croisades vues par les arabes » a même changé ma vie : plus jamais je n’ai vu le moyen-âge conquérant d’un point de vue occidental, tel qu’on me l’avait enseigné en cours d’histoire. J’ai découvert des civilisations orientales largement passées sous silence dans les années 60-70.
Bref, après m’être plongée avec délice dans « Les désorientés », j’en ai achevé la lecture sur une étrange impression de dichotomie entre le sujet du livre, l’exil, forcément porteur d’émotions et le ton presque placide et légèrement suave du roman.
La forme morcelée de l’ouvrage, avec un narrateur tantôt »je » tantôt « il », les passages de son carnet, les lettres de ses amis, les dialogues « en direct » contribuaient pour moi encore d’avantage à une distanciation entre le lecteur et les personnages.
Le manque d’effusion suscitait une impossibilité de s’identifier aux membres de cet ancien groupe d’étudiants beyrouthins dispersés par la guerre.
Mais je n’étais pas entièrement satisfaite de mon bilan de lecture, j’appréhendais même qu’un échange à l’atelier lecture comblerait les lacunes éventuelles de mon analyse.
Donc, une fois de plus, l’atelier m’a permis de modifier ma perception du livre et d’enrichir mon humanité, carrément.
En effet, voilà donc ce qu’il me semble en avoir retiré : tout d’abord le jeu de mot compris dans le titre, Les dés-orient-és, privés d’Orient. Un Orient doux avant la guerre – voir le film « Sous le ciel d’Alice » mentionné sur le blog dans l’article précédent. La guerre étant une conséquence de la crise du pétrole de 1973, et de la barbarie nazie ayant fortement contribué à la création d’Israël (?).
Cette douceur orientale, en fait une pudeur, avec de vrais sentiments sous une surface amène, rien de tel pour sortir du léger malaise que m’avait laissé ma « première lecture » en solitaire. Un homme oriental a certes le droit de pleurer, contrairement à son comparse européen, mais là s’arrête les sentiments qu’il est censé montrer en public, et donc exprimer à l’écrit. Ceci explique le ton du roman.
D’un autre côté, il y a lieu de se demander si le roman n’est pas issu d’une construction intellectuelle echafaudée à partir des notes que l’auteur aurait prises tout au cours de sa vie d’exilé … Pourquoi pas … Toujours est-il que les différents personnages représentent différents profils, différents choix et différentes religions, tout en ne s’opposant pas les uns aux autres.
Quant à la fin brutale, c’est-à dire la mort du narrateur et d’un autre personnage, en contraste avec la relative bonhommie du roman, notre groupe a éclairé sa motivation : l’impossibilité de recréer le passé, annoncée plus tôt dans le roman par le passage de la narration au pronom « il ». Qu’il est donc utile d’avoir de perspicaces amatrices de polars à l’atelier …